Un juif en Arles (2/2)

Publié le par pascalgoblot

Il fallait bien qu’il s’explique.

 

Son insistance à ce que je le désigne comme juif dans le titre du post précédent, me surprenait et me mettait mal à l’aise. Qu’est-ce que le fait qu’il soit juif venait faire là ? Je savais qu’il l’était, mais n’avais eu vis-à-vis de cette question aucune préoccupation particulière. Il n’était pas pratiquant, ne suivait aucun rituel, ni shabbat, ni nourriture casher, n’avait jamais formulé la moindre revendication identitaire.

 

Alors quoi ?

 

Récemment, coup sur coup, avait eu lieu deux faits, qui avaient donné lieu à deux polémiques. Il y avait eu l’application pour iPhone nommée « Juif ou pas juif » par laquelle on pouvait identifier, parmi des personnalités publiques, qui était juif et qui ne l’était pas. Et puis, quelques semaines avant, la levée de boucliers d’une poignée de députés conservateurs contre l’introduction de la théorie dite « théorie des genres », dans les programmes scolaires de Sciences de la Vie et de la Terre, théorie qui affirme simplement que les catégories de la sexuation sont des constructions socio-historiques.

 

Il n’y avait à priori aucun rapport entre ces deux polémiques.

 

Avec une détermination que je ne lui connaissais pas, il m’affirma le contraire.

 

Si l’on en croit ce qui a été rapporté publiquement, le créateur de l’application iPhone, Johan Levy, lui-même juif, voulait faire de ce programme un vecteur de valorisation de la communauté juive. L’application était extrêmement choquante, bien sûr, mais sans doute pas pour les raisons qui avaient été avancées, la principale étant l’accusation de « fichage », avec toutes les déclinaisons sur les dangers d’un fichiers recensant qui était juif ou non.

 

En réalité, la monstruosité n’était pas là. La monstruosité résidait dans la question elle-même, dans la reprise brute de l’expression la plus pure de l’antisémitisme moderne, à savoir, déceler qui est ou n’est pas juif. Car l’antisémitisme moderne, c’est-à-dire athée, a formulé par cette question son angoisse identitaire : « qui est juif ? », « qui ne l’est pas ? », avec tout son cortège de questions corollaires, « comment le reconnaître ? », « et lui, l’est-il ? », etc.

 

Cette monstruosité cachait à son tour quelque chose d’encore plus scandaleux.

 

Qu’est-ce que cela pouvait bien révéler qu’un juif reprenne, tel quel, la question de l’antisémite ? Qui plus est sans y voir malice…

 

Il hésita un instant.

 

C’est qu’on ne décide pas d’être juif. On ne le choisit pas. On l’est. On l’est par la naissance, par son nom, par sa mère. L’histoire de Moïse nous dit qu’on l’est peut-être même avant.

 

Que l’on soit pratiquant ou non, croyant ou non, voire qu’on le sache ou non, comme ce fût le cas pour lui, qui se découvrit juif à l’adolescence, lors d’une scène d’aveu de son père, bref, quelle que soit la façon dont on peut formuler cela, quelque soit le sens qu’on lui donne, « être » ou « ne pas être juif » est une pure question identitaire. Etre ou ne pas être juif n’a aucun sens, aucune signification, ne recouvre aucune qualité nécessaire. C’est un simple mot qui nous attache irréductiblement à une histoire, et nous place d’un côté ou d’un autre d’une barrière identitaire.

 

Voilà le scandale !

 

Un scandale qui nous dit qu’une identité, qui résulte évidemment d’une construction historique, qui n’est pas fondée en nature, peut exercer une prégnance d’une force d’acier. Un scandale qui est de dire qu’on ne devient pas juif, mais que l’on naît juif. Ou pas.

 

Je voyais enfin où il voulait en venir.

 

Les arguments des tenants de la théorie des genres se trouvaient justement sur ce terrain-là.


Avec raison, ils s’opposaient aux cris de quelques vieux réactionnaires de services. Avec raison, ils montraient que les catégories « féminins » et « masculins » ne sont pas fondées en nature, mais sont des constructions culturelles.

 

Mais ce faisant, ils prétendaient en déduire la contingence et la relativité. Ce qui, au passage, était encore une manière de donner au biologique une prépondérance imméritée. Ce qui était encore une manière de nier la puissance du registre du symbolique dans le fait identitaire, registre aussi peu maniable qu’un roc. Ainsi la phrase « On ne naît pas femme, on le devient » était une formule bien plus ambigüe qu’on pouvaitn le penser en premier lieu. Car elle recelait une vérité qui n’était pas exactement là où on l’entendait d’ordinaire.

 

Car « devenir femme » ne signifie pas du tout qu’être une femme serait de l’ordre d’une contingence historique, avec laquelle il serait possible de jouer. Ce « devenir femme » dit au contraire que le devenir est le cœur de la question identitaire féminine, qu’il en est, en tant que question, la modalité.

Publié dans dimanche

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