Au pied du mur

Publié le par pascalgoblot

Il y était donc, au pied du mur, et moi aussi par la même occasion, quoiqu’à un degré moindre, puisque ma seule tâche -celle que je m’étais donnée- était de rendre compte -un peu- de certains aspects de son existence, la sienne.

 

Ses pensées se bousculaient dans son esprit.

 

La fille, la fille du train, celle pour qui il avait ce fameux coup de foudre, cette fille, donc, cette jeune femme plutôt, était à quelques dizaines de mètres devant lui.

 

Donc il savait. Il savait ce qu’il allait faire.

 

Ce fut comme un flash, ce fut comme une évidence.

 

Il allait continuer et terminer ce qu’il venait de commencer. Il allait la suivre, discrètement, sans se faire remarquer. Il allait suivre chacun de ses pas.

 

Elle marchait à vive allure. Toujours à distance, il cala son pas sur le sien.

 

Il verrait où elle allait. Il connaîtrait son adresse, les gens qu’elle rencontrait, il découvrirait l’emploi de son temps avec la précision d’un horloger. Il veillerait la nuit devant sa porte. En planque. Sa vie n’aurait bientôt plus de secret pour lui. Sans qu’elle le sache, il saurait ses goûts, ses habitudes, ses envies. Il connaitrait ses amis, ses lieux de prédilections, son travail.

 

En un mot, il allait l’espionner.

 

Ce serait la première phase de l’opération.

 

Elle traversa une rue en dehors du passage piéton.

 

Viendrait ensuite la seconde phase.

 

Quand il saurait tout d’elle, il bâtirait une stratégie. Il déchiffrerait son comportement, interpréterait ses faits et gestes, jusqu’à pouvoir anticiper le moindre de ses actes. Il pourrait alors comprendre comment l’approcher et les erreurs à ne pas commettre.

 

Et ensuite, ensuite seulement, il passerait à l’action.

 

Il trouverait le moyen de l’aborder, puis entrerait –légalement cette fois- dans son intimité. Il s’attacherait son affection. Peu à peu, il se rendrait indispensable. Aurait-elle un compagnon, un petit ami, un mari ? Il saurait comment le circonvenir et le sortir de sa vie. Un enfant déjà ? Il saurait s'y prendre,et deviendrait comme un nouveau père pour lui…

 

Il marchait le cœur gonflé.

 

Elle était maintenant rue Trousseau. Elle devait avoir entre 25 et 30 ans. Sa démarche faisait onduler sa robe d’été. Il était en extase. Elle allait droit devant elle sans se retourner. À deux ou trois reprises, il dût tout de même faire attention à ne pas se faire repérer. Passant devant un bistrot, elle salua le barman de la main. Ah… Elle était donc du quartier. Ou du moins y avait ses habitudes. Un peu plus loin, elle s’attarda devant une boutique de design. Une imperceptible grimace lui apprit qu'elle détestait les objets en vitrine. Cinq secondes plus tard, une lueur passa dans ses yeux, pour un vase de céramique vitrifiée. Il n’osait pas encore sortir son appareil photo ou son téléphone. Il se passerait d’images pour cette première filature.

 

Elle s’arrêta devant un immeuble, tapa les chiffres du code, et entra.

 

Non loin de là, il attendait.

 

Méthodiquement, il élabora la suite. Tout était maintenant question de planning. Il lui faudrait collecter le maximum d’informations pour, au bon moment, les utiliser aux fins de sa manœuvre.

 

Il n’était plus habité que par cela.

 

Il était une machine.

 

J’étais évidemment atterré lorsqu’il me raconta son projet.

 

Il allait bâtir toute une relation sur un mensonge énorme, impardonnable, qui rendrait béante la faille qui ne manquerait pas d’apparaître entre lui et elle, puis de se creuser si, par un pervers effet du destin, son plan réussissait.

 

Pour tout dire il me fit peur. Mais je voyais bien que rien, aucun argument, aucune raison ne viendrait entamer sa détermination. Je voyais aussi qu’il était conscient de l’échec à venir, mais que, comme le papillon attiré vers la bougie, il irait irrésistiblement se brûler à la flamme de son malheur.

 

Peut-être allait-il fonctionner d’ailleurs, ce plan. Peut-être parviendrait-il à se faire accepter, et pourquoi pas, à se faire aimer d’elle… Mais s’imaginait-il que, comme dans les films hollywoodiens, elle finirait, après l’avoir chassé de son existence lorsque par hasard elle découvrirait le subterfuge, par revenir à lui devant la pureté de son amour ?

 

Il était en plein délire !

 

Son amour -à lui- était loin d’être pur.

Publié dans dimanche

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