Piercing, tatoo & video games

Publié le par pascalgoblot

Il regarda passer le jeune garçon au tatouage visible.

 

C’était un oiseau bleu et rouge, une sorte d’exotique perroquet des îles.


Il fut une nouvelle fois surpris, comme à chaque fois qu’il voyait un tatouage sur une peau humaine. Il lui semblait toujours que l’image n’allait pas. Il n’avait rien contre le tatouage en lui-même, simplement, il était évident pour lui que « ce n’était pas le bon ».

 

Et il n’arrivait pas à décrire cette impression avec exactitude.

 

Pourtant, il trouvait intéressante l’idée de se faire imprimer de façon définitive un dessin sur la peau. Contrairement aux gens très jeunes qui se font tatouer en toute inconscience, il était à l’âge où il avait pris la mesure de l’irréversibilité de l’inscription, et de ses conséquences. Cela ne lui posait aucun problème. Mieux. Il y voyait une manière d’acter l’abandon de l’infinité des possibles, en se disant qu’il pourrait ainsi mettre en œuvre sur son corps ce qu’il avait beaucoup de mal à réaliser dans sa vie.


Il passa en revue différents dessins et motifs qu’il pourrait choisir.


Non, finalement. Pas plus pour sa vie que pour sa peau, il ne réussissait à arrêter la ronde indéfinie des virtualités. La question du choix lui était infiniment douloureuse.


Une sorte de vitriol.


C’était une façon de jouer, à contretemps, avec l’impossible et le possible, le nécessaire et le contingent, comme si pour lutter contre ce qui ne cesse pas de ne pas s’écrire, le tatouage matérialisait un arrêt, une rupture. Il perçut soudainement en quoi l’effacement impossible avait, pour ces jeunes gens, la fonction de les renouer avec le réel, un réel qui se vivait alors par l’épreuve de sensations définitives sur le corps.

 

Le tatouage rendait réelle l’image qu’est le corps.

 

Le piercing était ce qui ensuite vennait trouer cette image, la déchirer.


Il repensa à Fight Club, le film de David Fincher.


C’était ça, exactement.

 

Dans un univers aseptisé, quand littéralement plus rien ne nous arrime à la surface du sol, seule la souffrance physique parvient encore à donner l’impression d’être vivant.

 

Des coups

 

Le heurt du poing sur la mâchoire

 

L’écrasement du visage sur le sol

 

Sentir la chaleur du sang sur le visage

 

Se perdre dans la douleur

 

Ne plus avoir d’images

 

Ne plus avoir de sens

 

Ne plus pouvoir parler

 

Se laisser submerger par les accidents physiques

 

Jouir d’être assommé par les chocs.


Et puis, très étrangement, il ne voyait aucun masochisme dans tout ça.


Le garçon de café antipathique lui amena le ticket, le mot « Apollon » tatoué en noir sur l’intérieur du poignet. Dans la rue, sur la cheville d’une passante, il distingua une constellation d’étoiles. Il eu le temps d’en voir quelques autres à la base de son cou. Évidemment, il imagina une voie lactée.


Il se dit que, pour la génération qui venait après la sienne, ces rituels de mutilation était une réaction logique aux mondes des jeux vidéo dans lesquels ils avaient grandi, ces mondes où l’on a trois vies, mille visages, où le jeu peut recommencer sans cesse, où la mort n’est qu’un ratage provisoire, quand ce n’est pas une passagère frustration.


Oui, il y avait quelque chose de sain dans le tatouage et le piercing, dans cette mise en scène de l’irréversibilité de la vie.


Et puis il inscrivit toutes ces choses en note sur l’un de ses quinze carnets.

Publié dans dimanche

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article