Échec et mat

Publié le par pascalgoblot

Il souriait.

 

C’était un de ces moments tranquilles et sans enjeu. Un de ces moments où l’on pouvait se dire un peu n’importe quoi, des choses graves ou légères, où aucune attente particulière ne planait sur la conversation.

 

Lorsque j’avais commencé de rendre compte, dans ce blog, de quelques uns de nos échanges, d’en faire, d’une certaine manière, le récit, la « relation de la relation » si je puis dire, je m’étais fixé comme objectif secret de tenir une année entière.

 

Très vite, il avait compris le jeu, et l’avait joué à sa manière. Très vite, il avait compris que chaque semaine, un nouveau post serai publié, si bien qu’un jour, il s’amusa à m’appeler « The sunday writer », l’écrivain du dimanche, comme on dit « peintre du dimanche ». Pour se moquer, il me disait que c’était « bien écrit », comme dans la formule « bien peint » par laquelle on qualifie une croûte. Je ne m’en formalisai pas. Au contraire, c’était plutôt dans sa bouche un compliment, tant ce côté amateur était à nos yeux le signe d’une vivacité que nous ne voyions que très peu autour de nous. Il tenait ce mot « amateur » de sa fréquentation ancienne de Jean Rouch.

 

En revanche, jamais nous n’évoquâmes les images que je recevais.

 

Par décence, par pudeur, par jeu.

 

Bien sûr, il y avait une part formelle dans ces post. Il la critiquait souvent d’ailleurs, s’énervant de la préciosité de certaines phrases, ou de l’usage immodéré que je faisais de l’italique et des « guillemets », qu’il interprétait comme une mise à distance abusive de la langue, d’une langue qui, ainsi, ne se donnait pas, réfugiant son énonciateur dans une posture dandy.

 

Il me rappelait alors combien Roland Barthes haïssait les guillemets.

 

Mais nous avions changé d’époque, et il valait mieux, selon moi, des mots « entre guillemets », ou en italique, que cette dévaluation corruptrice de la langue à laquelle nous assistions passivement. Cet exercice hebdomadaire était aussi devenu un moyen de faire mes gammes, contraint en régularité et en volume.

 

Il souriait.

 

Il avait vite compris aussi, et pour cause, les parts respectives de fiction et de réalité de ces écrits. Il avais immédiatement saisi que « je », « tu », « il », n’étaient pas des sujets littéraux, à prendre au pied de la lettre, mais des instances d’énonciation, que par ailleurs il aurait été erroné de croire, comme l’ont fait certains des lecteurs, réellement fictifs.

 

Peut-être était-il le seul à savoir que le « il » dont il était ici question n’avait rien à voir avec, par exemple, l’ami imaginaire que s’invente le personnage principal de Fight Club. « Il » n’était pas Brad Pitt, « Je » n’étais pas Edward Norton.

 

« Il » était bien réel. Moi aussi. Et son imaginaire était hanté.

 

Le fantôme qui l’habitait était une femme, croisée un jour dans un train, et il n’aurait pas de repos, tant qu’il ne l’aurait pas retrouvée. Ce fantôme existait vraiment, du moins en étais-je persuadé. Ceux, parmi les lecteurs de ce blog, qui en douteraient n’ont qu’à éplucher une par une les petites annonces du journal Libération, sur l’année 2011, pour s’en convaincre.

 

Une jolie fille passa, que je suivis des yeux. Il me regarda, mi-curieux, mi-réprobateur.

 

Que veux-tu, lui dis-je, je suis un mateur.

 

Sa réponse me sidéra : « Et ton père ? Il est pas prof de math ? »

 

Je restai coi. 

 

Soufflé.

 

Des années d’analyse lacanienne pour ne pas avoir, jamais, entendu ce jeu de mot !

 

Après quelques instants, je lui annonçai que j’interrompais pendant un temps Surmachinal Sunday.

 

Il sourit.

 

Sans doute savait-il déjà que ce ne serait pas éternel.

Publié dans dimanche

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article