Le miroir

Publié le par pascalgoblot

La scène se passe avant.


Il est devant son miroir.

 

Il se regarde.

 

Il s’observe.


La pupille de ses yeux est dilatée.


Il approche son visage de la glace, les pupilles se rétrécissent.


Du temps est passé, du temps s’est inscrit. Sous l’œil gauche, la cicatrice est maintenant à peine visible, absorbée par les plis des rides naissantes. L’arrête du nez a toujours sa bosse. La fossette a disparu. Du blanc pointe dans ses cheveux. La peau est lisse, sans tâche. Ça viendra.


L’inspection se poursuit.

 

Les pommettes recouvertes de duvet sont haut placées sur le visage. Les oreilles se décollent légèrement vers le haut. La bouche est sèche. Des petits morceaux de peau morte commencent à se détacher. Des poils durs, de deux jours, affleurent. Il humidifie ses lèvres avec sa langue. Les sourcils sont en bataille, résultat d’une nuit désertée par les rêves. Il passe la main sur son menton. Une petite boule de conjonctivite jaune s’est formée au coin de l’œil droit.

 

Il faudra qu’il se rase.

 

Il ne pourra jamais se voir comme les autres le voient, cela est certain. Depuis le temps qu’il fait avec ça, qu’il supporte.

 

Il essaie à nouveau.

 

Encore un effort. Voilà. Il y arrive.

 

Son reflet n’est plus lui. Ce n’est pas non plus quelqu’un d’autre. Mieux. Ce n’est plus rien. Rien qu’un assemblage morcelé de zones. Œil. Bouche. Oreille. Nez. Narine. Tempe. Cheveu. Lèvre. Joue. Menton. Sourcil. Front. Il écarte les lèvres. Dents. Un peu jaune, les dents. Il paraît qu’on peut se les faire blanchir en 10 minutes pour 75 euros. Il ira. Il est de la chair, du sang, des graisses, des cartilages, de la peau, des os calcifiés. Du rose/jaune avec un peu de vert. Il perçoit l’ossature de son crâne, il s’est désassemblé.

 

Vient la dissection.

 

Chaque parcelle est décomposée.

 

Le grain de la peau est la surface d’un causse désolé. Quelques crevasses. Des arbustes plantés dans un sol infertile. Son œil se vide. C’est un globe oculaire, relié à un nerf optique. Un organe. L’inutilité du lobe de l’oreille lui ferait presque souhaiter s’en défaire d’un coup de lame. Sa langue sort de la bouche. La grosse limace s’agite en tout sens. Il la sort un peu plus. La pointe se durcit. Les dents raclent le dessus, accumulent un peu de substance blanchâtre. Son nez disparaît, laisse place à un trou en forme de cœur inversé et allongé, semblable au dessin d’un trognon de pomme tranché.

 

Trogne. Trognon.

 

Sa mâchoire s’ouvre grand en un bâillement forcé. La mécanique est celle des rouages d’une locomotive à vapeur. Chaque muscle est passé en revue. Et testé. Aucune intention ne les habite, aucune expression. Juste l’animation machinale d’une matière vivante.

 

Il glisse un peu d’eau entre ses lèvres, la garde et l’agite un moment, recrache.

 

Il s’apprête à dire un mot, des choses idiotes, ou peut-être son nom, mais un multitude de scènes déjà connues lui viennent à l’esprit. Il renonce.

 

Il ferme les yeux.

 

Il les ouvre à nouveau.

 

Il se regarde. L’effet de surprise marche une fois de plus. Il n’est plus lui, mais l’inconnu dont on croise au hasard le regard dans la foule. Il se voit voir. Il chausse ses lunettes. Elles installent un écran entre lui et le monde, derrière lesquelles il peut se protéger.

 

Il efface à nouveau. Il se retrouve.

 

Il est « un ».

 

Un type.

 

Un type banal.

Publié dans dimanche

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