No way for Christmas

Publié le par pascalgoblot

Plus de deux mois, à nouveau, avaient passé quand je reçus cette nouvelle image, la veille de Noël. L'envoi m’indiquait qu’il était encore à Paris. Cela m’en faisait preuve.

 

Mais qu’est-ce que la place Vendôme venait faire là ?

 

Enfin… c’était un signe, même si sa conversation me manquait.

 

Je regrettais ces moments où nous discutions sans craindre de se faire qualifier par l’autre de pédant, du simple fait que notre seul et unique moteur était de déclencher dans nos esprits, le sien ou le mien, une lueur, une étincelle.

 

Souvent nous jouions à faire la critique de tel film ou tel livre, sans l’avoir lu ou vu, pour le seul plasir de la joute. En bien ou en mal. Puis ensuite, ensuite seulement, nous vérifiions –ou infirmions- les jugements que nous avions portés en chargeant l’un de nous deux de lire ou voir l’objet en question.

 

Et aujourd’hui, regardant la bande annonce du dernier film d’Assayas, Après mai, qui prétendait montrer les questionnements de la jeunesse d’après 1968, je me plaisais à imaginer les mots acides dont nous aurions usés.


Aurait-il vu la même chose que moi ? Aurait-il vu la forfaiture ?

 

Aurait-il décelé ce plan d’un quart de seconde, où l’on voit un jeune manifestant fuyant une charge policière, coincé dans une porte cochère, ne pouvant trouver refuge dans un immeuble faute de connaître le digicode qui lui ouvrirait la porte ?

 

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Car, enfin, depuis quand y avait-il des digicodes en 1968 ?

 

Imaginer que les digicodes équipaient les immeubles en 1968, c’était comme de mettre des montres aux poignets des romains, dans un peplum.

 

Plus encore. Par ce plan, fugace, Assayas avait fait un lapsus, bien cruel pour lui. Il avouait l’époque à laquelle, comme nous, il appartenait réellement. Non pas 1968, mais 1986, et sa mobilisation étudiante, dont on disait –à raison- qu’elle était un « mai 68 à l’envers », tant les motivations des jeunes qui manifestaient alors étaient, au contraire de celles de leurs ainés qui voulaient renverser la société, de rentrer dans le rang, et d’y trouver une place.

 

Certains s’en souviendront, la scène du jeune, bloqué par le digicode et tabassé sous une porte cochère, décrivait simplement la mort du jeune homme nommé Malik Oussekine…

 

Déjà, j’avais en tête le titre du post que j’aurais fait, si nous avions eu cette conversation, et si j’en avais rapporté le propos  : « Le digicode assassin d’Assayas ».

 

Et de Depardieu, qu’aurions-nous dit ?

 

Nous aurions discuté du bon texte de Daniel Schniederman, ici, ou mieux, de celui, excellent, de Jacques Mandelbaum, , mais plus encore, nous aurions essayé de comprendre comment l’acteur que nous admirions autrefois était aujourd’hui devenu si mauvais, comment il avait pu passer d’une grâce, d’une intensité, d’une force, à une si triste absence. Nous aurions essayé de comprendre ce qui, au début des années 1990 (1993 pour être précis), lui avait fait perdre sa présence cinématographique, cette aura dont certains comédiens sont dotées, et qui leur donne, lorsqu’ils se mettent sous l’auscultation d’un objectif, une réalité qu’ils n’ont pas dans la vie courante, ou alors à laquelle ils accèdent après-coup, quand –en retour- ils réussissent à emporter un peu de la luminosité qu’ils ont acquis dans -et par- l’image.

 

Depardieu avait été grand parce que tous ses personnages avaient mis en scène du manque. Manque de biens, mais surtout manque d’amour. Par tous les pores de sa peau, il exhalait de ses incarnations, un désir, qu’il savait -et que nous, spectateurs, savions- « inassouvissable ».

 

Toute la beauté, toute la violence contenue des rôles qu’avait joués Depardieu avait tenu là, dans ce manque, dans cette impossibilité du désir à être comblé.

 

Or, visiblement, ce qui était la puissance de l’acteur avait été la tragédie de l’homme réel. Par tous les moyens, par l’argent, le vin, la bouffe, le sexe aussi sans doute, Gérard Depardieu avait voulu remplir ce vide, et s’épargner ainsi la peine du désir. Vu l’intensité de ce dernier, nul ne saurait l'en blâmer.

 

Peu à peu, l’outre s’était remplie, et avait explosé d’épuisement. Et désormais Depardieu ressemblait au Piccoli de la Grande Bouffe, en attente de son ultime pêt. 

 

Notre conversation, si elle avait eu lieu, se serait probablement conclut sur ces mots, sur cette évocation.

 

Mais qu’en savais-je ?

 

Je pariai qu’il lirait ce post, puisqu’il m’avait envoyé l’image de la place Vendôme, et que j’interprêtais cet envoi comme un appel, voire une interpellation.

 

En le relisant, j'entraperçus toute la charge de plainte qu’il contenait. L’année écoulée avait été difficile, et cette difficulté suintait maintenant de mes phrases. Je mesurai aussi tout ce que m’avait apporté nos conversations. Et ce qu’en avait produit sur moi l’absence.

 

Je priai pour que ces moments reviennent.

 

En attendant, à présent, je solliloquais. 

 

Publié dans dimanche

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